Le chemin du massothérapeute.
- Guillaume Solar-Pelletier
 - 8 sept.
 - 4 min de lecture
 

Deux ans déjà que j’ai changé de carrière. Et pourtant, parfois, j’ai l’impression que ça fait cinq ou dix ans. Comme si j’avais passé toute une vie à me rendre là où je suis maintenant.
Avant, j’étais vidéaste — caméraman, monteur. Un métier créatif, mais dans lequel je me suis progressivement vidé. Jusqu’à frapper un mur. J’ai alors envisagé de devenir physiothérapeute ou ostéopathe, mais à ce moment-là, c’était un trop gros morceau pour la famille, pour moi.
Alors je me suis formé comme massothérapeute et entraîneur. « À défaut », c’est ce que je croyais à l’époque.
Une amie très sage m’a dit un jour : « Parfois, on pense que la vie nous bloque, mais en réalité, elle nous redirige vers ce qu’on est censé faire. » Ou quelque chose comme ça.
Eh bien, elle avait raison.
Aujourd’hui, je m’épanouis dans ce métier. Ce n’est pas sans défis, mais j’y trouve la liberté et la créativité dont j’ai besoin. La massothérapie, pour moi, c’est à la fois une science et un art. Pour bien l’exercer, je dois être dans mon corps autant que dans ma tête. Quand j’y arrive, je tombe dans ce qu’on appelle le flow. Cet état d’unité. Et quand je m’y trouve, souvent, mes clients aussi.
Je voulais devenir physio pour aider les autres, poser des gestes concrets face à la douleur. Mais avec du recul, je me rends compte que j’aurais peut-être manqué quelque chose d’essentiel : une vision globale du corps. Comment la personne l’habite.
Un physiothérapeute fait des évaluations très précises, cherche un diagnostic (quand il le peut), élabore un plan de traitement. Moi, comme masso, je n’ai pas le droit de diagnostiquer. Mais je m’appuie sur ceux posés par d’autres pros pour voir comment je peux accompagner la personne avec mes outils à moi.
Et ce que je développe de plus en plus, c’est une écoute. Une attention fine aux tensions musculaires, aux tissus. Mon travail, c’est de chercher le chemin pour aider le corps à relâcher.
C’est tout. Et en même temps… c’est beaucoup.
Je pense à une cliente venue me voir pour une douleur persistante à l’épaule, après une opération près de la colonne vertébrale. Elle suivait déjà un plan avec son médecin et sa physio. Il y avait eu des améliorations, mais ça stagnait. Elle est venue me voir un peu pour tenter sa chance. En quête de soulager la douleur.
Le premier massage, c’était un peu une exploration. Il y avait plusieurs choses à aborder. L’histoire du corps s’est mise à se dévoiler, doucement, pendant que je massais. Rien de spectaculaire, mais un peu de relâchement.
Et puis, à la toute fin, j’ai senti une tension marquée dans son biceps. J’ai manqué de temps pour y aller à fond, mais j’ai noté.
Heureusement, elle est revenue la semaine suivante. Cette fois, je savais où j’allais. Je me suis concentré sur le biceps, le brachial, les fléchisseurs. Ça relâchait, tranquillement… puis plus rien. Un blocage.
Alors j’ai arrêté. J’ai écouté. J’ai attendu.
Et là, j’ai eu une impression : ce n’était pas une simple tension. C’était comme une retenue. Une protection du corps, comme un bouclier. Après une opération invasive (mais vitale), le corps avait créé une défense, qui maintenait inconsciemment son bras en repli.
J’ai pris un risque. Je lui ai partagé mon ressenti : « On dirait que tu portes un bouclier. Quelque chose qui t’a protégée, mais qui ne te sert peut-être plus. »
Ses yeux ont changé. Ça a résonné. Elle a reconnu ce que je disais. J’ai continué à mobiliser doucement son bras, et là… la tension a fondu. Le muscle s’est adouci. Le bras a retrouvé sa souplesse.
Ce n’est pas moi qui ai relâché cette tension. C’est elle. Mon rôle, c’était simplement d’offrir un espace sécuritaire pour que ça puisse arriver. Elle a fait le travail. Elle avait en elle ce courage de l’introspection et du lâcher-prise.
Ce jour-là, j’ai mieux compris ce qu’était mon métier.
Les médecins avaient posé le bon diagnostic, la physio avait tracé une trajectoire. Il restait juste ce petit nœud, presque invisible, dans son processus de rétablissement. Et ce nœud-là, il demandait autre chose : du temps, de l’écoute, un espace.
Tout n’est pas tension musculaire. Parfois, ce qu’on retient, c’est plus profond. Et relâcher, parfois ça fait peur. On a l’impression de tomber dans le vide. Jusqu’au jour où on relâche… et qu’on découvre que ce vide, il est plein de soi.
Alors voilà. Mon travail, c’est d’offrir ce cadre-là. Parfois ferme, parfois doux. Parfois c’est un simple massage. Et parfois, il y a ces petits moments où tout s’aligne, où la personne est prête, où je suis dans le flow, et que quelque chose de précieux se libère.
Tu vois, c’est finalement parce que je n’ai pas fait physio que j’ai eu le temps de développer autre chose : le toucher, l’écoute. Si j’avais eu tous ces outils d’analyse biomécanique en partant, j’aurais surtout analysé la biomécanique. Peut-être qu’avec le temps, je serais arrivé là où j’en suis… mais plus lentement. Ce n’est pas que l’un est meilleur que l’autre, simplement que ce n’était pas mon chemin à moi.
Et la biomécanique m’intéresse aussi, mais elle s’intègre peu à peu, au fil de mes formations. Le fond, ça reste l’écoute : est-ce une contracture… ou une retenue?
Ce qui me nourrit dans ce métier, c’est justement ça : ce processus vivant, jamais pareil, toujours créatif. Et dans cette création, je ne m’ennuie jamais.
Merci d’avoir pris ce moment pour me lire. J’espère que tu vas bien.
Guillaume
